Extrait "Rarement une ville n’aura suscité chez moi autant de passions et de fantasmes. Le
problème avec un fantasme, c’est le risque de la déception. Généralement, plus l’attente est
démesurée, plus la désillusion est importante. On imagine des odeurs, des couleurs, une
ambiance, un climat. La réalité est presque toujours décevante. Sauf bien sûr, si le réel et
l’imaginaire s’entremêlent, si la caricature est à la hauteur de ces propres clichés, si l’image et la représentation de l’image sont la même chose. Pour preuve, Paris est très loin de son image à l’étranger ; Londres et Pékin ne correspondent pas à leurs descriptions romancées ; Moscou ou Berlin ont le visage ravagé.
De toutes les villes monde du passé, seule New-York est resté New-York."
"Comme je le pensais, les américains sont à la hauteur de leurs caricatures. […] Je marche sur la pellicule d’un film que j’ai l’impression d’avoir vue cent fois."
"Times Square représente toute l’hypnose du capitalisme de séduction […] Tape à l’œil et vulgaire, la section d’avenue mondialement
connue constitue un biotope varié et un bestiaire surprenant.[…] Écrasés par les gratte-ciels, nous déambulons sans but, dans ce capharnaüm de vie, ce « carnaval de lumières » comme l'écrivait Kerouac."
"Difficile d’imaginer qu’au tournant du XXe siècle, cette place était le plus fantastique bordel du nord des États Unis.[…] ce New York des seventies, en proie aux amphétamines et à la criminalité, aux filles trop chaudes et aux éclairages trop froids, était une jungle urbaine remplie de néons et de désespoir, en pleine faillite économique et morale. Quelques années après, l’électricité et le divertissement éclaireront les ténèbres. Les multinationales de l’Entertainment ont depuis transformées l’ancienne cour des miracles en centre commercial géant, un «hyper lieu» selon le mot du géographe français Michel Lussault. Une autre forme de prostitution, diront certains."
"A Wall Street, près du Bowling green Park, une monumentale statue de taureau
exhibe ses énormes couilles en bronze. Autour de l’animal, une nuée de touristes asiatiques rigolards posent à proximité des testicules géantes. Ils les soupèsent et les caressent généreusement en espérant la fortune, comme le suggère la légende locale."
"De nos jours, le quartier italien, ainsi que sa communauté, sont dilués ; seule une section réduite de courtes rues identifie clairement la zone italienne et l’unique Mulberry street peut encore se targuer de défendre les couleurs de la botte méditerranéenne.[…]
Les fines gueules que nous sommes bavons devant les devantures macaronis sauce
Disneyland, chaleureuses et désuètes. Le visage penché sur la vitrine, nous observons les quelques mangeurs planqués là, dans une lumière tamisée éclairant avec peine les nappes à carreaux rouge de ce lieu cendreux manquant d'authenticité."
"Après lui avoir échappé durant plusieurs jours, la pluie nous retrouve et se venge
violemment en nous giflant sans discontinuer toute la journée. De larges baffes humides et glacées qui nous contraint à modifier ou plutôt à adapter notre relatif et peu contraignant programme. Un orage de grêle s’abat soudainement sur la Big Apple et nous trouvons refuge dans une très spacieuse et ludique caverne contemporaine: le MET"
"Dans un style purement anglais, le
jardin de New York dévoile ses larges pans herbeux, bornés par de magnifiques massifs
ordonnés et encore touffus malgré l’hiver qui règne depuis plusieurs semaines. Heureux et
d’humeur badine, nous alternons les baisers romantiques et les regards évocateurs dans ce lieu baigné de romantisme. Les ponts néogothiques cassent le rythme végétal tout en crénelant le décor de dentelles métalliques. Les nombreuses fontaines offrent une symphonie aquatique
reposante, après la longue ballade sur les chemins sinueux. Les différents réservoirs, grands comme des lacs, assurent l’approvisionnement en eau des citoyens de la ville et abrite une faune éparse et variée, garantissant l’équilibre délicat de cet environnement préservé."
"Mon indulgente fiancée m’accompagne ensuite, deux heures durant, dans une épopée cinéphile où nous comparons nos savoirs populaires. Ici, la boutique Tiffany and Co, immortalisé par la caméra de Blake Edwards dans «Diamants sur canapé» où l’on peut juger de la classe folle d’une Audrey Hepburn; là, le JG Melon, le restaurant ou Dustin Hoffman s’explique avec Meryl Streep dans «Kramer contre Kramer»; plus loin, le
Copacabana où les cratères de la gueule de Ray Liotta se crispent dans «Les affranchis»."
"Nous marchons lentement, comme pour ralentir le temps.[…] La pluie froide et bleue contraste avec les intérieurs chauds et dorés ou dînent des américains souvent seuls. J’ai l’impression de me balader dans un tableau de Hopper, ce peintre génial qui a su transposer la mélancolie de l’Amérique urbaine.[…] Plus qu’aucun autre, il piégea la ville dans ce qu’elle a de plus sinistre
mais aussi de plus incandescent."
"C’est toujours une impression bizarre, un peu régressive et niaise, de se rendre sur les lieux de tournage de ces films préférés. La plupart du temps, l’effet provoqué n’est pas à la hauteur de l’émotion recherchée. On démystifie ce qu’on a panthéonisé."
"Coney Island est l’archétype des lieux schizophrènes. Festif et peuplé en été, désert et angoissant en hiver. […] Je bade un instant devant la «Wonder wheel», la dernière grandes roues des parcs d’attractions de Coney, inamovible depuis 1920."
"Brooklyn se découpe en nombreux quartiers de superficie différente, de communautés distinctes et de dangerosité variable. East New York et Brownsville ont la réputation d’être de potentiels coupe-gorge pour un visiteur qui se serait trompé d’adresse."
"Nous errons au cœur de Bay Ridge, avant d’atterrir dans un environnement purement
Yankee où nous retrouvons les immeubles caractéristiques de Brooklyn. Reconnaissable par les iconiques escaliers de secours extérieurs, hauts de 4 ou 5 étages, les bâtiments en brique rouge surmontés de la bannière étoilée, habillent les rues typiques de ce coin traditionnel des
États Unis, loin des falaises de béton et de verre de Manhattan."
"Sur un trottoir, nous croisons un authentique «diner» des familles, l’un de ces restaurants bon marché, où l’on serre du café maintes fois réchauffé à la cafetière. Nous commandons deux cafés à emporter, qu’une serveuse hors d’âge tente de nous servir sans vibrer."
« Le gratte-ciel n'est pas un élément urbanistique, mais une bannière dans l'azur, une fusée de feu d'artifice, une aigrette sur la coiffure d'un homme désormais classé dans le gotha de l'argent. »
Le Corbusier "Quand les cathédrales étaient blanches" 1937
"Les nouvelles cathédrales, de béton et d'acier, essuyèrent de nombreuses critiques dès leurs érections dans le ciel new-yorkais. Hommage au capitalisme triomphant pour les uns, manifestation de l'ingéniosité des temps nouveaux pour les autres ; les architectures de Big Apple ne laissent personne indifférent."
"Le halo du jour naissant rebondit sur le miroitement des parois de verre et allonge la perspective des avenues. L'utilisation du verre transforme les rues en sarabandes de reflet. Les jeux de lumière prolongent les magasins et les appartements. Le dehors et le dedans s’interpénètrent
comme nulle part ailleurs."
"Ce nouveau type d'urbanité, plus soudaine, plus brusque, prévu pour un usage rapide et volatile, représente idéalement l'essor des nouvelles croissances économiques: ogresses, démesurées, excessives, sans limites."
"Impatients comme des mômes, nous arrivons si tôt que l’enceinte du Garden
n’est pas encore ouverte. Nous trépignons sans bouger de notre position, de peur de perdre
l’avantage stratégique qu’est devenu le nôtre en arrivant les premiers. Très vite, une foule
impressionnante, composée majoritairement de locaux, se nasse derrière nous."
" A condition de se munir de quelques billets verts, et de bien digérer les sucres lents, il est très facile de se nourrir dans ce genre d’événement. Les choix sont multiples mais guère variés. Ça tient en trois ou quatre possibilités: nachos, hot-dog, burgers, frites."
"Les danseuses de salons, toute vêtues de paillettes et de frou-frou, investissent le parquet et entame une chorégraphie enivrante. Alice à beau les rabaisser en les traitant de Pom-Pom girls, je garde le menton levé et applaudis à tout rompre après cette merveilleuse prestation."
"Le match débute et j’explique à ma fiancée les règles basiques du basket-ball. Nachos après nachos, elle acquiesce en hochant la tête tout en fixant le jeu qui se déroule en bas."
"Véritable rendez-vous familial, nous assistons là à un spectacle
fascinant, entre «Jerry Maguire» (Cameron Crowe, 1996) et «L’enfer du dimanche»". […] Ce que nous voyons correspond, en tout point, à l’imaginaire collectif de la plupart des français à l’endroit des américains moyens.[…] De colossales tranches de barbaque passent de plats en assiettes et disparaissent dans
les gueules des supporters affamés. Les ventres se tendent, les gorges se déploient, les mâchoires claquent en arrachant d’épais lambeaux de travers de porc caramélisés."
"Dans le stand voisin, j’aperçois Alice en pleine discussion avec une serveuse. Cette dernière ne comprend apparemment pas les suppliques de ma partenaire. Dans sa main, une grosse assiette de sauces où je devine les nachos en dessous. Dans un anglais pourtant impeccable, Alice essaie d’expliquer à cette charmante blonde à peine majeur, qu’elle ne veut pas de sauce supplémentaire et, accessoirement, qu’elle ne souhaite pas devenir candidate à l’infarctus comme la moitié des visiteurs présents aujourd'hui."
"Aux États-Unis, les traditions sont toujours honorées. Les PomPom girls assurent la partie artistique dans une relative indifférence; les équipes font le show dans un tonnerre de cris gutturaux et l’hymne américain est chanté dans un silence de cathédrale. A cette occasion, nous découvrons que cet indéboulonnable moment suspendu figure en bonne place dans notre panthéon des évidences américaines."
"Les "Jets" s’en sortent bien face aux "Miami Dolphins". Dans notre tribune, les supporteurs de l’équipe de New York nous entourent avec une bienveillance paternaliste. Paumé au milieu de notre foule, un admirateur des Dolphins, large comme un béluga, tire sur la paille de son soda et encourage son équipe préférée, sans être le moins du monde chahuté par la horde rugissante derrière lui."
"Ici, à New York, aucun autre endroit n’est plus indiqué pour retrouver son âme d’enfant que le Rockefeller center. Véritable féerie lumineuse, pour quiconque s’intéresse aux choses de Noël, le complexe de 9ha est une ville dans la ville. Partout, les illuminations de décembre colorent les rues dans un ballet ininterrompu de scintillements. […]
jusqu'aux façades de la 5ème avenue, où un merveilleux spectacle digital, le «Theater of dreams», se reflète dans les yeux sublimes de ma fiancée."
"Personne ne vient à New York pour faire une cure de sommeil. Dans cette ville
insomniaque, le bruit est permanent et polyphonique. […] Le lendemain, c’est à la recherche de ce silence que nous décidons de visiter le muséum d’histoire naturelle.[…] Nous apercevons au loin une gigantesque baleine bleue. Gigantesque, forcément, c’est une baleine et elle est bleue."
"Nous parcourons les galeries, avec plus ou moins d’intérêts selon les univers présentés. Après plusieurs heures, nous terminons par l’inspection de la météorite Willamette, la plus grosse jamais découverte aux
États Unis. Un gros morceau de caillou extraterrestre qui, si elle ne déclenche pas en nous l’extase due à son rang de super «star», a le mérite d’être tombée là pour exposer ses cratères de fer devant un parterre
d’érudits ébahis."
"L’attitude et son look, tout colle parfaitement au tableau. Comme ses étudiantes depuis toujours fantasmé, qui étudient à l’ombre des tableaux des musées ou dans la lumière tamisée des bibliothèques d’antan. Ces filles pas aussi sages que leur classe sociale et leur penderie le laisse à penser. Le genre qui harmonise sans toujours le vouloir, l’intelligence et la séduction, le charme et la réflexion."
«Tout est concentré à New York: population, théâtre, art, littérature, édition, affaires,
meurtre, agressions, luxe, pauvreté. Elle est l’ensemble de toutes ces choses.»
John Steinbeck, 1953
"Cette ville est exténuante. Si la dynamique globale, la vitalité, l’énergie cinétique des rues permettent de se sentir jeune plus longtemps; ce mouvement, cette puissance centrifuge, cette férocité de vie, fait vieillir
prématurément."
"J'ai conscience que New York n'a jamais été une belle ville; ce n'est pas Paris, ou Florence, mais j'aime New York. J’aime New York comme j’aimerai une maîtresse envahissante, dangereusement attirante."