Le plus beau pays au monde
Retour en France
Extrait: "En France, il est techniquement impossible de parcourir plus de 1083 kilomètres d’un point A à un point B; de Brest à Menton en fait. La France est donc un grand village, où s’entrecroisent des rues et se chevauchent des boulevards. Les sacs à dos ont mutés en valises, les ceintures sont bouclées, cap au nord."
"Deux heures de route suffisent pour entrer dans les territoires du Nord, pompeusement rebaptisés «Haut-de-France». C'est vrai, c'est le haut de la France. Plus au nord, c’est la Manche ou pire, la Belgique."
"Lille se rappelle à mes bons souvenirs et je retrouve avec bonheur son vieux cœur de cité, ses façades ocre, sa signature régionale et sa vie européenne.[…] Quelques changements de vitesse plus tard, nous voici catapultés à Armentières. Autre ambiance. Ici, le cosmopolitisme laisse la place à une homogénéité sociale brutale et malheureuse."
"S’il n’existait qu’une seule carte postale marine, sûre qu’elle afficherait le port du Havre. Les fantômes des dockers arpentent les corridors humides dans la brume du soir, et pataugent lourdement dans les flaques noires laissées là, sans ordre précis. L’ambiance de ce chantier déserté est propice au recueillement et au repos."
"La nuit s’accroche aux gargouilles et nous partons en hâte nous coucher. L’unique et spartiate camping de la baie accueille notre carrosserie de fer et nos carcasses de chair contre quelques pennies. Devant le Mont St Michel, nous regardons le soleil teindre les nuages, embrasé le ciel et, lentement, rejoindre sa tanière. Nous le retrouverons en Bretagne au petit matin…"
"Le sol breton est gorgé de légendes et d’approximations historiques. La poésie des lieux se mesure dès la porte d’entrée, matérialisé par les hauts murs de la cité de St Malo, l’un des sept fondateurs de la terre de Bretagne. On pénètre la ville comme on entre dans un château fortifié. On s’y sent ensuite comme dans un donjon: claustrophobe et sécurisé. Les pavés des rues sonnent creux et les badauds rêvassent le long des boutiques de glaces ; des saltimbanques sans le sou amusent les petits en se moquant des grands ; les chiens pissent et les mouettes rient ; la vie grouille et bouillonne jusqu’à saturation."
"Ancré à la sortie du port, l’époustouflant trois mâts « Hermione », réplique exacte du célèbre voilier qui conduisit Lafayette aux Amériques en 1779, laisse admirer ses flancs et ses 2200m2 de voilure. Le bâtiment revient d’un voyage inaugural qui se voulait représentatif de l’épopée entrepris par les français 3 siècles auparavant. Des dizaines de membres d’équipages, plongés dans l’ambiance de travail de l’époque, ont traversés l’atlantique nord avant de rallier New York. Un joli moyen pour raviver, dans l’esprit du voisin américain, l’importance de la France à une période cruciale de l’Histoire"
"A Dinan, le temps s’est arrêté au Moyen Age. L’urbanisme est sublimement inadapté à notre vie moderne. En résulte un dédale de ruelles sombres et de voies pour chevaux, abandonnés par des seigneurs disparus. L’ensemble donne au grand village une gueule folle"
"Nous séjournons dans ce foyer complet ou résident deux belles âmes quinquagénaires, doués d’hospitalité. Autour d’eux se nasse quelques garnements, tout joyeux de courir dans un endroit ou –presque- tout est permis. La relative permissivité des propriétaires s’explique par leurs liens parentaux avec la marmaille et par les courtes périodes en famille. Les enfants le savent bien et ils en profitent d’autant"
"A Carnac, nous étudions, sceptiques, les formations rocheuses installées là par nos ancêtres. Les mégalithes disposés à première vue aléatoirement, pointillent en fait la prairie sur plusieurs hectares. Mythes et contes naissent ici, au cœur de cette sorte de lotissement inachevé"
"De chemins de terre en lit de rivière, de bistrot du coin en étable à foin, nous trouvons le temps d'acheter et de déguster les meilleures spécialités de la région : gâche, jambon vendéen, mogettes et choux. Nos victuailles dodues chargés dans l’habitacle, nous nous perdons bruyamment sur les petites routes de campagne, entre Luçon et…Luçon je crois, enfin peut-être, bref. La voiture se perd, les esprits s'échauffent, enfin le ton baisse, les soupirs cessent, nous continuons"
"Le problème avec les surprises, c’est précisément qu’on ne les attend pas. Personne donc ne nous attend ce soir à notre arrivée à La Rochelle. Nous restons donc comme deux couillons devant une porte close. Trois heures plus tard, un individu se pointe et daigne nous ouvrir. Je reconnais l'homme, c’est mon frère"
"Ce soir, nous dînons. Pas au hasard, pas sur la plage, pas dans la tente mais chez ma tante […] Une soirée et une nuit idéale, entre anecdotes et confidences, dans le microclimat tabagique de leur foyer. Ce rendez-vous familial est devenu un incontournable de nos séjours charentais. Les dégustations croisées ont fait quelques dégâts et le petit jour trop rapidement levé nous rappelle nos écarts noctambules. Rien de mieux qu’une virée au bistrot pour soigner le bois de nos gueules"
" […] j’ai de nombreux souvenirs de ces fresques de comptoirs où j’entendais tinter les verres, murmurer les secrets, insulter les patrons, contredire les politiques et miser sur les chevaux. Une sociologie de la campagne française, dans tout ce qu’elle a de bon sens et d’aberrations, d’exaspérations et d’espoirs, de bons mots et de conneries. Je me suis toujours plu dans ces décors humbles, où l’apparente rusticité contraste avec la sensibilité de bon nombre de ces hommes épais, qui le plus souvent font un travail honnête"
"Nous nous croisons à la boulangerie avec une idée similaire en tête. Puis viens le soleil, la terrasse, le salon de jardin, les croissants, le jus de fruit, le café, le thé, les croissants à nouveau… Parfait. Nous quittons nos hôtes sur cette question… Pourquoi ne pas se retrouver de l’autre côté du pays, en Savoie, dans un mois ? Nous avons semé une graine, elle va lever…"
"Nous séjournons sur les hauteurs de Niort, en plein cadre bucolique, dans une grande maison dominant les champs alentours. Les trois enfants de Philippe s’ébrouent autour de la mare dans l’espoir de pécher l’unique brochet censé nager dans ces eaux. Deux poules caquettent autour d’un festin d’épluchures de pommes, les ânes se questionnent inutilement et les vaches mangent et chient en même temps. La poésie champêtre à son paroxysme. "
"L’après-midi se poursuit dans le cœur névralgique de toute la Dordogne et du Périgord Noir : Sarlat-la-Canéda. Turbulente cité où se pressent et s’entrechoquent les pèlerins à casquette du monde entier dans l’espoir de toucher du doigt l’âme du poumon vert français"
"Dans mes souvenirs de marmot, la foule de contemporains côtoyait les artisans d’autrefois ; les sucreries d’antan jouxtaient les manèges de bois et ce petit monde anachronique vibrait de joie et de plaisir gratuit. Vingt ans plus tard, le mercantilisme est passé par là ; les manèges ont cessé de tourner ; les artisans dispensent leur art tout seuls, désinvoltes ; personne ne se bouscule en riant, les allées sont tristement vides et la notion même de gratuité a disparu"
"Au gouffre de Proumeyssac, nous espérons découvrir la réalité derrière la légende. De temps immémoriaux, de nombreux mythes ont entourés la cavité béante située non loin des Ezzyies. Repère secret de brigands, porte d’entrée de l’Enfer, trou de bal du Diable, il faut dire que les faits encouragèrent longtemps les spéculations… En effet, durant des siècles, d’abominables odeurs semblaient s’échapper du gouffre et d’inquiétantes disparitions se produisaient à proximité du lieu maudit"
"Au cœur du vignoble bordelais nous attaquons gueule ouverte les cépages du prince des vins. A saint Emilion tout d’abord, ou le maitre de chai du château Destieux nous fait l’honneur de réception et nous guide à travers son métier et son domaine"
"Quelques coups de volant et nous plongeons au cœur de la littérature du XIXème, en compagnie de Cyrano, à Bergerac. L’illustre poète s’affiche partout, une ironie pour un personnage dont toute l’intrigue repose sur la discrétion"
"La ville rose se loge dans le creux de la Garonne, et il s’y développe un art de vivre tout à fait singulier. La nuit tombée, les groupes de jeunes cracheurs de feu s’y retrouvent pour se réchauffer la glotte ; les familles promènent le chien et les couples illégitimes s’embrassent au fond des ruelles ; mêmes les flics en patrouille ont le sourire aux lèvres"
"Nous nous goinfrons des vastes espaces qui s’étire à perte de vue devant notre capot. Notre traversée de la chaîne pyrénéenne est ponctuée d’arrêts inopinés, seulement justifiés par la beauté des tableaux qui esquissent leurs manières après chaque virage"
"Le confort est une notion toute relative ; après plusieurs mois d’inconfort, un simple matelas gonflable surmonté d’une toile fine suffît à notre complet bonheur"
"Nous sommes attendus à Vinça, petite bourgade au cœur des montagnes […] Nous sommes accueillis aussi chaleureusement qu’espérés et c’est avec appétit que nous nous attablons […] Pour accompagner cette salade de rires, on nous sert un sens de l’hospitalité inégalable"
" […] c’est à Canet en Roussillon que nous découvrons la première de nos stations balnéaires méditerranéenne […] La France des congés payés s’est rassemblée ici, et ça va durer tout l’été. Chaque année, le même schéma. A la minute où le mercure dépasse les 27°, l’Europe au nord de Clermont Ferrand, dégringole en entraînant les autres sur son passage, et s’entasse au bord de la mer pour y sécher la face au soleil"
"Depuis deux heures nous roulons doucement, aux aguets, à la recherche d’un coin tranquille pour camper. L’obscurité progresse et le vent s’est levé. Soudain, nous apercevons un lac, à 300 mètres, planqué derrière les futaies. Nous garons l’auto sur une large bande plane ; unique clairière des environs. Problème, il s’agit là du point de passage principal de la tramontane montante. La tente résiste mais le sommeil est saccadé"
"Au matin, l’opération café crème est lancée. Un rapide coup d’œil sur la carte et la boussole, et nous choisissons la direction nord-est. Une brève matinée sans conviction nous traîne de Narbonne à Béziers. Notre mauvaise nuit et notre exigence en matière d’urbanisme nous prive de la beauté objective de ces deux villes. Dans le seul but d’égayer notre journée, cap sur l’Agde. Le festival des culs à poils et de la viande à l’étalage. Un plein saladier d’organes génitaux et de tétons bronzés"
"Pour rester dans le thème, nous filons à la Grande Motte.
Zénith de l’abjection urbaine et coup de reins arrogant à la loi littoral, les immondes structures dressées sur la plage insultent le regard et le génie français. De quel cerveau malade a germé cette erreur architecturale […] L’endroit sue l’ennuie et le lieu commun. La ligne de sable, démesurée, où s’étale des tas de vieilles mottes, permet le temps de la réflexion et nous fait oublier, un instant, le saccage"
"Une fois n’est pas coutume, nous débutons la journée dans une nouvelle ville. Montpellier accueille nos mines ébouriffées dans un concert de bâillements. Les va et vient de la cuillère dans le café sous le soleil baignant de la place de la comédie bercent les premières heures de cette fin juillet"
"Immense parc naturel protégé et sublimé par les reportages animaliers, la Camargue surprend et séduit par sa diversité de faune et de flore autant que par sa situation unique en France. Le paysage steppique et les vents qui enjambent ses marécages peignent l’élégance du site. Les gardiens de ce sanctuaire sont d’étonnants chevaux gris, solides et trapus […] La légende veut qu’ils soient nés de l’écume de la mer, sauvant in extremis la vie d’un homme poursuivi par un taureau noir"
"Obstination est un mot féminin. Je découvre à mes dépens que c’est un trait de caractère très féminin également. Alice me persuade de traverser tout droit, faisant fi du pont qui, mine de rien, doit avoir sa fonction. Sans réfléchir, du tout, je m’élance sans m’inquiéter. Nous parcourons les dix premiers mètres sans encombre puis brusquement, nous descendons d’un bon mètre instantanément. Enfoncés jusqu’à la taille dans une épaisse et écœurante masse de vase et de fumier, nous prenons de longues secondes pour prendre la mesure de l’événement"
"Le long des routes, les platanes ont laissé la place à de sublimes oliviers centenaires. L’air s’emplit de lavande et d’herbes séchées. Le mistral sème ce parfum dans toutes les collines"
"Dans la bibliothèque familiale, entre Bukowski et Céline, figurait en bonne place Pagnol. Au même titre que Daudet, l’écrivain marseillais fit naître en moi l’amour des grands espaces et de la nature préservée de toute pollution humaine. Je me réjouis donc à l’idée de marcher sur les sentiers qu’autrefois, il parcouru"
"Marseille à cela d’unique qu’elle est la seule grande ville de métropole à conserver une vie authentiquement populaire. A l’inverse des villes tournées sur le monde au détriment parfois de sa propre culture, la cité phocéenne s’enorgueillit de n’être jamais plus que la porte sur la méditerranée, sa porte française"
"Très vite, nous trouvons le gigantesque Palais des Papes, l’autre attrait de la ville. Demeure pontificale et siège de la chrétienté d’Occident durant le XIVème siècle, cette forteresse abrita six conclaves, aboutissant logiquement à l’élection du nombre correspondant de papes. A cause de ces hautes murailles et de son allure général, l’édifice parait obèse"
"Nous remontons la mythique nationale 7. De Paris à la côte d’azur, cette voie légendaire constituait pour bon nombre de nos parents, la symbolique routière des vacances au soleil […] Une manne pour les bleds qui jalonnaient la nationale. L’un d’entre eux eut l’audace de saisir la balle au bond et dans un même temps, de communiquer au pays tout entier autour de ses spécialités culinaires. Le nougat se révélait et Montélimar s’agrandissait"
"Nous débutons sur les chapeaux de roues, en randonnant sur le mont Grêle. Nous attaquons l’ascension par un périlleux pierrier, couvert par l’imposante canopée. Chaque pas se termine par le claquement du bruit sec engendré par la chute de pierres qui tombe à pic dans le précipice. La sueur perle sur nos fronts et les paroles se font plus rares, entrecoupées de soupirs […] Nous déjeunons à 1200m au-dessus du niveau de la mer, perchés sur les hauteurs de l'avant pays savoyard, cette Savoie méconnue, la Savoie des plaines"
"Au bout de la route, nous trouvons la raison de notre venue. Un monastère actif ou pérégrinent au sein d'un immense enclos muré, les moines chartreux, une communauté silencieuse aux secrets centenaires. L’ordre contemplatif des pères Chartreux s’est fixé dans ces montagnes il y a environ un millénaire"
"Sur les hauteurs du Beaufortin, les cinq lacs du Forclaz forment les paliers bleutés d’un tableau d’immensité. Entre neige et soleil, entre ciel et terre, cinq heures de parfaite communion avec le corps, l’esprit et la nature"
"Comme une manière de fêter dignement notre tour de la France et, plus globalement, notre année de voyage dans le monde, nous décidons de clôturer l’ensemble par une triple route des vins. Le vin, ce n’est jamais que du jus de raisin fermenté. C’est aussi l’haleine de la France. Pour s’en persuader, la route des vins de Bourgogne s’avère être l’endroit idéal"
"Puisque nous sommes à Beaune, nous achetons un ticket pour découvrir les célèbres hospices. Remarquable architecture de style gothique, cet ancien hôpital épate par son impressionnante toiture en tuiles vernissées de Bourgogne […] Un fascinant bond dans le passé, au chevet de la dévotion religieuse et la miséricorde"
"C’est à Turckheim que nous attaquons l’Alsace.
A partir de maintenant, l’allemand remplacera l’anglais dans les conversations touristiques. Ce morceau de France, plus nouveau que les autres, entretient d’ambivalentes relations avec notre voisin teuton. La culture, les lois, les institutions, l’architecture, tout se lie et s’amalgame pour faire de cette région, un couloir de transfert, un sas de mixité, entre les deux pays"