une virée dans le monde

a la découverte de l'est

Extrait: "On se connaît bien, elle et moi. Suffisamment pour partager plaisir, fatigue, aventure et savon. Elle, c'est Alice. Moi, Jimmy. Nous partons ensemble pour voir un bout de monde. Ce n’est pas un “tour du monde” –terme abusif et le plus souvent géographiquement faux- mais un tour dans le monde, en SDF : Sans Destination Fixe." 

"Le premier pas est souvent difficile. Pas pour nous. Pas pour l’instant. […]  Quelques coups de téléphone et nous voici attendu chez l'un, puis chez l'autre, glissant entre chaque hôte comme un morceau de savon humide. Nos premiers parents adoptifs sont Jacek et Magda […] une femme charmante, aux neurones paresseux mais à l’ergonomie physique parfaite."


" Nous nous promenons de longues heures dans ce domaine giboyant, en compagnie des chiens de la famille qui s’ébrouent dans le lit de rivière asséché. Le ballet des couleurs automnales donne au paysage la vie d’un tableau de Monet."

" D'un geste franc, il écarte deux bouteilles d'apéritif aux noms célèbres, et plonge sa grosse main au fond du meuble. Il extirpe un flacon sans étiquette et au contenu inconnu. Curieux, je fixe ce breuvage que notre hôte à l'air de préserver comme un trésor de famille. C'est une vodka. Une vieille vodka. Le genre qui n’apparaît sur la table qu'à de grandes occasions. Nous trinquons presque religieusement. Elle est drôlement bonne […] Au bout d’une heure, nous nous comprenons. L’alcool est une merveilleuse école de communication."

"Chaque année, nombreux sont les pays à fêter l’arrivée de la nouvelle cuvée du Beaujolais. Capitale cosmopolite et ouverte sur le monde, Vilnius ne fait pas exception. Nous sommes invités à la soirée organisée par la chambre de commerce et d’industrie franco-lituanienne au Novotel du coin. […] Le chef nous offre un dernier verre de Sylvaner et nous présente ses amis, tous directeurs de castings et autres managers d’agences de mannequins. Dans une ambiance survoltée et bien arrosée, les jeunes filles qui rêvent de faire carrière de leur esthétique passent de genoux en genoux en ricanant. Nul besoin d’être extra lucide pour s’apercevoir que derrière ce vernis bon enfant, se cache un immonde marché de beauté juvénile 
à la juteuse rentabilité." 

" Nous sommes sur l’isthme de Courlande […] Sous un ciel sans nuage, nous faisons fi du vent glacial qui nous fouettent les joues et dévalons la plage pour mieux vivre l’instant présent sur cette étendue vide d’homme. Le soleil se couche, le spot est magnifique et l’on peine à croire que nous sommes en Lituanie. L’absence de regards et le besoin organique de se réchauffer nous donnent l’occasion de trinquer du nombril. Nous apprendrons plus tard, que ce gigantesque espace de sable est interdit d’accès, pour les promeneurs 
comme pour les baiseurs." 

"C’est Eleonora, une épaisse rousse vulgaire enroulée dans un long manteau de fourrure, qui nous réceptionne à la station de bus de Riga. […]  Nous découvrons, à nos dépens(es), le stratagème élaboré par notre grosse rousse pour soutirer le maximum de pognon aux doux agneaux voyageurs que nous sommes encore. […]  Aux abords de la mer Baltique, à Saulkrasti, son silence se transforme en mépris quand elle se moque d’Alice, qui découvre, à l’occasion d’une balade sur la plage, que la neige peut aussi tomber sur le sable." 

"Nous venons, en un éclair de seconde, de passer d’accueil généreux et gratuit, à pension de famille surfacturée. Nous ne rechignions jamais à payer, et nous ne frappons jamais aux portes des plus pauvres que nous. C’est une indécence folle de compter sur la sainte loi de l’hospitalité pour se faire offrir le gîte et le couvert par des gens qui ne nous attendaient pas. Mais aucune des promesses qui fut celles de nos hôtes avant notre arrivée ne concernaient un quelconque dédommagement." 

"Nous adorons Riga et l’ambiance particulière du mois de décembre ne gâche rien. […] Nous décidons donc d’y rester toute une semaine afin de sillonner entre les architectures d’Art Nouveau. C’est un camp de base parfait pour graviter ensuite vers les villes satellites : Saulkrasti, Kuldīga… Nous nous ancrons dans un quotidien fait de grasses matinées, de marchés, de pain d’épices et de promenades"

"Nos tardives demandes de couchsurfing restant vaines, nous réservons un point de chute en ville ; une auberge de jeunesse au confort spartiate où l’eau ne coule qu’un jour sur deux. Néanmoins nous sommes heureux d’avoir réservé un toit dès notre arrivée, d’autant plus que nous essuyons une sévère tempête à la sortie de la gare. Des rafales à décorner un buffle et une pluie complice qui pique violemment chaque espace de peau découverte. La carte routière tombe en lambeaux et nous arrivons bleu outremer à l’auberge." 

"Bientôt, la luminosité baisse mais ici, la nuit ne tombe pas, elle se casse la gueule dès 15h. Nous ne voyons pas beaucoup le soleil. Les jours passent et pour tout dire on commence à s’emmerder."

"Il fait nuit depuis longtemps quand notre bus stationne au poste douanier entre Narva, en Estonie, et l’entrée de la Fédération de Russie. D’un bâillement, nous sortons dans le froid et le coltard. Une heure et quatre vérifications de passeport plus tard, nous voici enfin sur la terre des Tsars." 

"Le jour peine à se lever, et nous aussi. Quand, enfin, tout le monde s’ébranle, nous découvrons un vibrant manège sous le soleil d’hiver de Russie. Par un beau matin de décembre, Saint-Pétersbourg la cosmopolite nous offre ses trésors. Le premier d’entre eux se situe à moins de 200 mètres de l’appartement : la Basilique du Saint-Sauveur-sur-le-sang-versé. […] De sa religiosité d’antan, il ne lui reste que son haleine d’église : odeur d’aube humide, de chevelure de vieille, de cierges 
et d’encens froid."

" Nous échangeons quelques mots pudiques avec nos hôtes, prévenants sans être insistants. Ils habitent un de ces appartements russes typiques, plus fonctionnel que beau, à la décoration désuète et à la chaleur étouffante. L’esthétisme, chez les russes, est un concept complexe ; l’intérieur, victime de la mondialisation et du kitch, détonne avec l’extérieur au goût certain, coloré et soigné."

"La nuit colore le jour quand nous assistons au rituel traditionnel autour de la tombe du soldat inconnu. Chaque heure, au pied du Kremlin, un échantillon de l’armée russe démontre, s’il en était besoin, que la discipline et la précision sont
des facultés slaves.

"Nous empruntons l’œuvre colossale que représente le métro de Moscou. […]  Des mosaïques aux vitraux, en passant par les sculptures en bronze, le « petit palais du peuple » justifie devant nos yeux, son surnom de plus beau métro au monde."

"Il est minuit quand nous faisons la connaissance du Transsibérien. Le train. Le mythe. […] On y entre comme on entre dans une machine à voyager dans le temps. On revit le passé, inquiet et tragique, des milliers d’ouvriers et de prisonniers qui s’acharnèrent à rendre le rêve soviétique accessible." 
 
"Chaque jour est le miroir du précédent et l’esquisse du suivant. […] Pour reposer les yeux, nous admirons le paysage immaculé, s’étirant comme une moquette de laine blanche, tapissant le sol sibérien où s’hérissent parfois quelques isbas, pour nous rappeler qu’ici aussi, l’Homme possède son domaine." 

 "Dans la platzcart, que nous traversons un jour pour rejoindre le wagon-restaurant, 54 couchettes sans cloison baignent dans un parfum musqué de testostérone. Ici, c’est l’empire du mâle. Alice a, en passant, la curieuse sensation d’être un morceau de viande au milieu de chiens affamés. Je la ramène jalousement au compartiment. Le libidineux appétit de ces gaillards serait peut-être moins affuté si ma dame ne cherchait pas à garder sur elle la propreté d’une Lady." 

"Etape incontournable avant le Baïkal, Irkoutsk constitue le seuil d’entrée où l’on s’essuie les pieds avant de marcher vers le grand lac. […] Le centre-ville est intéressant mais pour tout dire, cet arrêt citadin ne se justifie que par sa situation géographique. Seule la rivière Angara, en cours de fixation hivernale,
attire notre œil."

 
"Quand l’aube blanchit la campagne russe, nous roulons depuis 1h déjà en suivant le rivage du lac. […] Seuls, dans un décor figé par -40°C où l’hiver a pétrifié la vie, nous errons prudemment à la recherche d’inattendu. […] Ici, nous découvrons une autre Russie, loin des satellites et de la modernité. Les habitants sont plus rustres, une sève brune coule dans leurs veines. La rumeur du monde ne semble pas atteindre cet endroit et même les lois moscovites s’échouent le long des rives. Vivre ici, c’est s’avouer indifférent au sort du monde. [...] "A cette époque, dans la taïga, la seule chose qui passe, c’est le temps"." 

"Nous patientons 5h au poste frontière russe. […] Après 8 passages et autant de vérifications, nous pénétrons en Mongolie."

"Les heures passent. Dans le ciel, les cumulus rayent l’horizon, le soleil couchant les mûrit. « On voit de suite qu’on est en Mongolie, même la lune est devenue jaune » tente Alice, sarcastique. En fait, la lune a, ce soir-là, une couleur de glace vanille et semble si proche que j’ai envie de la lécher."

"A cette époque, propice aux grands repas entourés des siens, être à Oulan-Bator est une punition. [...]  Entre les maisons, chauffées au charbon, et les émanations toxiques des usines de la ville, l’air se charge d’une odeur âpre et métallique. Jamais, jusqu’alors, nous n’avions si fortement senti la pollution. Nous nous rendons compte que respirer est une vieille habitude à laquelle nous tenons."

"Le personnel de voiture a changé et nous rencontrons à cette occasion nos premiers chinois de Chine. […] L’atmosphère est farcie d’un air inoubliable, mélange de nourriture chaude et d’huiles essentielles. Il aura fallu attendre la Chine pour trouver ce que nous cherchions : perdre nos repères."

"Partout, des panneaux interdisant l’accès de cette section de la Grande Muraille au public. […] Après 1h de marche, nous sommes paumés. Nous finissons par demander notre chemin au seul être humain de la zone. L’homme est bucheron. Il doit avoir 250 ans mais en parait 70. Clope au bec et mains dans le dos, il nous indique la direction opposée à celle que nous pensions être la bonne. […] Cette partie de l’édifice n’est pas restaurée, aussi, la nature y a repris ses droits : les arbres colonisent les goulets et le récent verglas rend la randonnée périlleuse. Les ravages du temps sont ici gravés dans chaque pierre. Sous nos pieds, 1500 ans d’Histoire. A chaque pas, nous battons la mesure du temps"

"Pour célébrer notre arrivée, j’ouvre une flasque d’alcool de riz particulièrement infâme. Sous nos pieds cette fois, 50 ans d’histoire de la consommation : des centaines de détritus, jetés avec désinvolture, non loin des quelques poubelles prévues. Ironie de la préservation."

"A notre arrivée, il fut rapidement convenu que nos jambes constitueraient notre principal moyen de locomotion. Faute grave. […] Les distances du plan rapportées aux distances réelles n’ont plus rien à voir avec ce que l’on pourrait qualifier de normal, même avec une définition très large de la normalité. Nous trottons ainsi des dizaines de kilomètres dans un sens puis dans l’autre au cours d’un apprentissage douloureux des étendues pékinoise. Sans compter les innombrables circonvolutions opérées dans notre visite des nombreux hutongs qui chenillent entre les quartiers et qu’aucune carte officielle ne détaille."

"Le cœur de la vieille ville est charmant, les nombreuses bâtisses, encore dans leurs jus, et les nuages de poussière s’arrachant du sol à chacun de nos pas sont autant de résidus d’Histoire, fixés à nos yeux séduits. Malheureusement, la frénétique course aux profits liés au tourisme transforme les ateliers en échoppes de cartes postales et pas une seule rue n’échappe à la surveillance des rôdeurs en rickshaws, insistants et impatients. Quartier par quartier, Pingyao bouleverse en 20 ans ce qu’elle n’avait osé modifier en 500." 

"Nous retrouvons à Xi’an le bouillonnement d’une ville aux 10 millions d’habitants. [...]  Au fond d’un centre commercial, nous retrouvons Jie, notre hôte de l’étape. Gérant d’un modeste magasin de mode, ce trentenaire à l’air d’un adolescent timide et triste. Quelques poils bouclent au bout de son menton rond. [...] Natif de Wuhan, dans la province de Hubei, Jie souhaite nous initier aux plats de sa région." 

"Ici plus qu’ailleurs, on nous observe, on nous étudie. Nul doute que nous sommes les premiers occidentaux depuis longtemps dans ce quartier oublié des guides touristiques."

"La réputation d’Alice, à savoir celle de pouvoir dormir dans n’importe quelle condition, est mise à mal. Au-dessus de nos têtes, la lumière blanche hôpital épuise nos sens. Comme il est permis de fumer pratiquement n’importe où dans ce pays, des fumoirs existent entre chaque voiture. Cet espace brumeux devient ma planche de salut, il y fait frais et on peut s’y tenir debout. La cigarette me sauve"

"Loin de croire à une prétendue « communauté des voyageurs » dont la symbiose résisterait au réel de l’aventure, nous nous méfions de cette proximité instantanée qui pollue les échanges. […]  nous exécrons cette maladie du tutoiement obligatoire, que l’on retrouve le plus souvent dans les auberges à back Packers, et qui symboliserait l’alliance imaginaire qui lierait les nomades temporaires du monde entier."

"Un chemin composé de 60 000 marches tranche la jungle et trace une cicatrice bétonnée entre les sapins. […]  Du haut des falaises serpentent des filets d’eaux qui lèchent les rochers en contre bas. L’endroit est impérial."

"La nuit tombe et nous refusons de céder aux sirènes des hôtels nouvellement construits pour passer la nuit. Il fait très sombre quand, épuisés, nous atteignons un monastère encore actif qui met quelques chambres à disposition des voyageurs. […]  Dans la poussière et la vétusté d’une cuisine abominable, le cuisinier allume ses feux, branche son autocuiseur, et nous prépare le plus formidable riz frit de notre vie" 

"Une heure du matin. L’engin coupe les machines pour quelques heures. Dans l’intervalle, la majorité des passagers a disparu. En comptant le personnel de la compagnie, nous sommes 5 survivants. Le staff, justement, nous quitte pour dormir à l’hôtel tandis que nous restons à l’intérieur, à grelotter
sous une mince couverture."

"De chaque côté, un ravin d’une vingtaine de mètres. Entre les véhicules, l’épaisseur d’un papier de cigarette. Et pourtant, lentement, très lentement, et pas sûrement du tout, nous progressons. En sept heures, nous parcourons 4 kilomètres."

"Ce pays bousille nos nerfs. Alice pose son bouquin et moi j’essaie d’anticiper le prochain coup de volant. Secoués et angoissés, nous hésitons entre dégueuler et pleurer."

 
"Les corps souffrent. Les jambes, le cœur, les poumons, les trois. L’asthme d’Alice couplé à la poussière du chemin réclame une attention particulière. [...] Vaillamment, en alternant pauses et litres d’eau, elle franchit les redoutables 28 «lacets de la mort» qui mène au 1er col, s’octroyant ainsi 
une victoire au sommet" 

"L’incroyable machine à cash chinoise se matérialise aujourd’hui dans une vieille femme tout en rides et en vibrations, qui poireaute sur le sentier qui doit nous mener au dernier ravin. [...]  A présent, nous sommes en bas d’une échelle de 31m de haut, vertigineusement droite. L’édifice est vétuste et il manque des barreaux. En mesurant les conséquences de chaque geste, nos corps fatigués s’élèvent dans une tension palpable. Dans le silence écrasant de la forêt alentour, le bruit de chacun de nos pas éclate dans des échos effrayants"

"Véritable rendez-vous social pour la communauté d’un quartier, ces « cavernes fécales » comme le disait Céline, permettent à la population de se débarrasser des excédents alimentaires agglutiné dans le colon, en coudoyant avec le reste du village"

"Dans les rues désertées, le mercure annonce 1°C au-dessus de zéro. Pas de quoi vraiment frissonner mais les cantonais, eux, s’attendent à voir débarquer la banquise"

"L’écart entre les bâtiments est si mince, qu’aucun rayon, en aucune saison, ne parvient à s’infiltrer. La pluie s’écoule mais ne tombe pas. C’est le royaume des rats, de la nuit éternelle et des boutiques loufoques. Après une heure dans ce dédale, le labyrinthe nous recrache au coin d’une rue animée"

"Au Sud-Est du continent asiatique, les pieds baignés dans la mer de Chine méridionale, se dresse un port gigantesque à
l’atmosphère inégalable : Hong Kong"


"Timidement assis sur un coin de chaise, nous observons abasourdis le ballet des touristes. Ça frôle, ça écrase, ça hurle et ça s’agite dans un couloir à peine plus large que l’ascenseur. Comme à la SECU, nous patientons, un ticket 
numéroté à la main"

"Au loin, voguant sur les eaux calmes du port, les ferrys frayent entre les jonques tandis qu’à nos coté, une poignée d’octogénaire dérouille leurs antiques rotules dans 
un cours de taïchi"

"Pourquoi traverser le Vietnam à moto ? Quiconque pose cette question n’a jamais croisé un bus karaoké vietnamien"

"De notre trottoir, nous observons l’océan de véhicules. Les scootéristes chassent les passants sur le coté des rues dans un extraordinaire dédain. Nous restons perplexes face au défi fixé : 1700km du nord au sud, en 15 jours. […]  Une connerie. Du suicide. Une folie. Une expérience. Un défi. L’aventure"


"Dans cette ville, tout est ordonné pour faire en sorte que la sécurité soit exclue de toute prise de décision"

"De rizière en rizière, nous traversons de vastes étendus quadrillés de canaux où se penchent quelques chapeaux pointus sous lesquels se cachent des travailleuses souriantes. Près d’elles, de nombreux bœufs à la peau noire et aux cornes épaisses battent de la queue pour éloigner les mouches. 
Le Vietnam idéalisé"

"La croyance populaire assure qu’il est préférable de ne pas lever la voix et de ne pas avoir de mauvaises pensées durant la période du Têt car tout ce qui serait dit ou fait durant ce laps de temps se répercutera durant l’année à venir. Compliqué pour nous : nous sommes sur la route, nous sommes français et nous avons faim. Trois raisons de gueuler"

"La magie de ses multiples virages encourage nos prises de risque sur une route quasi déserte. Au sommet, le panorama est époustouflant. Aucune photo, ni aucune vidéo, ne peut retranscrire fidèlement les impressions du moment"

"La suite du trajet n’est gâchée que par les passages dans les centres urbains, où la population stagne durant la semaine du Têt, et par le danger engendré à chaque carrefour. Tout comme le climat, nos humeurs sont variables et les nerfs juste sous la peau"

"Les poules se comptent par centaines, suivies de leurs poussins ; les ruminants, pas effrayés pour un sou, déplacent maladroitement leurs carcasses malingres à notre approche ; les chiens aboient et la caravane passe… Les mêmes canidés qui, quand ils ne sont pas ébouillantés vivants et rôtis à la flammèche bien moyenâgeuse, rôdent le long des chemins et poursuivent les chèvres apeurées. Plus coyotes que chiens domestiques, nous nous méfions de leurs regards faussement placides. La rage tue encore par ici"

"Au bout de 40 kms, au détour de l’unique hameau traversé depuis 1h, un petit homme monté sur un scooter tout aussi petit nous intime l’ordre de stopper. Brandissant une carte déchirée et chiffonnée, il bredouille quelques mots d’anglais, guère compréhensibles. Devant notre air soupçonneux, il nous montre la crosse de son calibre. A ce moment-là, nous remarquons son pantalon, d’un vert militaire"

"Dans la cour poussiéreuse, trois chiens faméliques se réchauffent les os sous le soleil de midi. Autour de nous, le village est muet, désert. L’homme semble végéter ici toute l’année, dans un ennui profond. Notre arrestation constitue sans doute pour lui, une distraction inespérée"


"Quatre heures de bus en plus et nous arrivons à Phnom Penh, capitale du Cambodge. Le mercure, pourtant à l’ombre, affiche la sentence : 36°C. « Mais on n’est pas obligé d’aller à l’ombre. » disait Jean Yanne"

"Allongés nus sur un matelas de mousse, enveloppé d’une chaleur étouffante, le ventilateur couinant au-dessus, l’ambiance cafardeuse et le balcon immobile dominant une ville silencieuse, nous sommes un couple de colons français oubliés là depuis la guerre d’Indochine. Nous trouvons le sommeil si tard qu’il est tôt"

"Nous sommes les premiers mais, rapidement, les sièges en bois disparaissent sous les dizaines de culs qui colonisent la grosse barque. […] Autour de nous, flottant et percutant la coque, les affres de l’activité humaine : les cambodgiens balancent leurs déchets par sacs plastiques entiers dans la flotte et ne s’émeuvent pas des conséquences. Les accords de la COP21 ne sont pas parvenus jusqu’ici. A tout bien considérer, ils ne sont pas parvenus ailleurs non plus" 

"Par endroit, une moquette végétale passe sous la coque et nous glissons alors sur tapis vert. Notre passage est salué par les enfants des villages flottants dans des lieux hors du monde. Les sorties d’écoles provoquent toujours un joyeux chahut et de grands gestes amicaux"

"A cet instant, nous remarquons un homme, la soixantaine bien tassée, et une jeune femme, la majorité à peine franchie. Lui est laid à faire fuir le jour, elle est fraiche et juvénile. Vu de dos, on pourrait considérer que c’est un père accompagné de sa fille. Mais, très vite, nous comprenons que ce n’est pas le cas. Il est caucasien, quand elle est asiatique, sans doute khmer. Il est riche, quand elle est pauvre. Il est gras, quand elle est maigre. Sa petite main fragile disparait soudain dans la grosse main boudinée et nous observons, sans les quitter des yeux, l’ignoble spectacle du tourisme sexuel, omniprésent dans ce bout du monde"

"C’est précisément la distinction entre deux espèces opposées que l’on retrouve pourtant sur les mêmes routes : le voyageur et le touriste. Le premier voit ce qu’il voit, le second voit ce qu’il est venu voir. Les touristes ont horreur de regarder. L’appareil regarde pour eux. Quand ils ont fait clic-clac, ils sont apaisés, ils ont amorti leur voyage" 

"Sur le lit du cours d’eau asséché, on distingue, en effet, nombre de pénis stylisés. On se dit que, effectivement, « La rivière aux mille lingams » ça sonne quand même mieux que « la rivière des mille teubs » "

"Au deuxième jour, nous découvrons Ta Som et ses arbres fossilisés dans la pierre, Preak Khan et son incroyable effet miroir, Neak Poan et ses bassins, East Mebon et ses éléphants… Autant de merveilles que les lacunes de ma plume ne parviennent pas à décrire fidèlement"

"Les négociations dans tout le pays aboutissent presque toujours à une réduction de 50%. Seuls les américains, par snobisme, et les chinois, par connerie, rechignent à marchander"


"Bourlingués et nerveux, nous sommes dans un bus surchargé depuis une heure quand le chauffeur serre le frein à main. L’instant d’après, trois nouveaux passagers s’improvisent des sièges sur les sacs de céréales disposés au hasard de la place disponible. Jusque sous nos pieds, ces énormes toiles de jute encombrent l’habitacle et nous contraignent de voyager avec les genoux dans le nez"

"Les heures s’égrènent et nous découvrons des muscles inconnus jusqu’alors, tout autour du cul. L’odeur de la nourriture combinée à celle d’essence et de transpiration asphyxie notre sens olfactif"

"La ville est poudrée d’une poussière safran et les 10 000 habitants du coin ont tous la caboche asséchée. Nous arrivons à l’Happy Elephant Guesthouse. Nom ridicule et mensonger. Les pachydermes répandus dans la région sont maltraités et utilisés pour des travaux colossaux avant d’être réformés en bétail à promener du touriste"   

"Un matin, nous roulons plusieurs dizaines de kilomètres sur un sentier de terre battue pour apercevoir ce que les locaux nomment « l’océan d’arbres ». Etalé au fond d’une vallée rôtie par des siècles d’étés brûlants, la canopée s’étend à perte de vue et semble se poursuivre après l’horizon"

"En longeant le rivage de cette réserve protégée, nous atteignons un ponton éloigné, annexé par un groupe de britanniques. Une femme se trempe en bikini et personne, dans le groupe de cambodgiens présents également, ne semble offusqué. En fait, cet endroit est « réservé » aux impudiques femmes d’Occident et à leurs hommes consentants. Si j’étais un petit cambodgien, c’est ici que j’irai apprendre à nager"

« Les vietnamiens plantent le riz, les cambodgiens le regarde pousser, les laotiens l’écoutent… »
Proverbe d’un colon français.

"En bombant le torse devant lui, comme un dos argenté que l’on aurait provoqué en défi, il comprend que ma patience s’est envolée. S’il veut jouer au con, il est tombé sur un 5ème Dan. […]  Le type s’écarte, nous nous installons. Autour de lui, personne n’a bougé. […] On a tous un plan dans la tête, jusqu’à ce qu’on risque de prendre une droite dans la gueule"

" Les chattes n’en finissent pas de mettre bas tandis que les vaches errent librement entre les étals de nourriture ; une corne dans l’épicerie, l’autre dans le bar voisin. Un joyeux bordel où même un serpent trouve sa place, entre les barreaux d’une chaise de restaurant"

"Des gestes lents, des phrases presque murmurées, un temps de compréhension remarquablement long, tel est le tempo Lao. […]  Les hommes pêchent, picolent, jouent aux cartes. Les femmes élèvent les enfants et travaillent aux champs. Ici comme dans de nombreux pays en développement, elles assument le principe de réalité et tiennent les rênes de la vie pour permettre aux hommes de jouir de l’existence" 

"Le Mékong que nous longeons nous gratifie de ses couleurs émeraude et ses rives bosselées offrent aux pêcheurs locaux la perspective que leurs proies n’auront jamais. Le seul risque à séjourner ici est de s’enraciner ; de monter un commerce et de contempler, en souriant, passer notre vie d’antan. Certains d’ailleurs, ont cédé à la tentation et sont restés paresser ici. Nous les regardons évoluer dans ce décor ambigu, répéter les mêmes gestes, un peu hors du monde. Ils ont assis leur vie dans ce petit coin et la laisse défiler paisiblement" 

"L’incompréhension est totale ; certains touristes tendent une carte du pays. Peine perdue. Ça pourrait être une carte de Moscou, ce serait la même chose. La linguistique n’aide en rien, le Lao simplifie à l’extrême les échanges ; tout est « Lao ». Une bière ? Lao. Manger ? Lao. Le village des Schtroumpfs au milieu de l’Asie"

"Une chance de fer à cheval nous dirige devant le seuil d’un hôtel étrangement déserté. […] Anatomiquement mal mariés, leur duo se révèle d’une efficacité redoutable. A deux, ils transcendent les normes du pays en matière d’aptitude professionnelle. Miss Noi distribuant, entre deux engueulades, les bons et mauvais points aux employés ; une main de fer dans un gant de fer"


"La baignade est souvent fraiche, le panorama toujours époustouflant. La chaleur de la fin d’après-midi nous attire en amont de l’une de ces cascades. Ici, quotidiennement, quelques éléphants trompent l’ennui de leurs mornes journées dans les courants clairs de la rivière"

"[…] je me laisse aller aux pensées typiquement nocturnes, celles qui ne résistent généralement pas à l’examen d’une nuit de repos. Je me dis, par exemple, que le fatras du monde n’arrive sans doute pas jusqu’ici. Alors même que le néon multi couleurs d’un frigo logoté Coca Cola clignote à ma droite et colore mon visage à la manière d’un caméléon. Il est temps que je me repose. La nuit est sans surprise, rien à signaler. Sauf une incursion curieuse, un animal, peut-être un chien, profitant de notre sommeil pour nous renifler le cul, attiré semble-t-il par les effluves de notre dortoir, touché cette nuit-là par une abominable épidémie de pets. Je l’observe un moment et puis, éreinté, je sombre doucement, au rythme des coups de marteau en velours de ce bon vieux Morphée" 

"Le premier établissement croisé s’avère être un bordel ; deux putes nous le confirment. Trop fatigué pour entamer les négociations et pas à l’abri d’une crise diplomatique conjugale, Alex et moi renonçons à cette touche d’exotisme locale"

"En route, le véhicule se gonfle de locaux amicaux aux sourires communicatifs. Sur le banc en face de nous, une ravissante fillette rit aux éclats, dans les bras d’un homme si laid qu’il ferait rater une couvée de singe. Les camions qui nous dépassent à vive allure nous enveloppe d’une fine poudre ocre, qui nous peint aux couleurs du pays" 

"Les garçons, quant à eux, roulent des mécaniques et des épaules en fumant clopes sur clopes, les plus vieux n’ont pas plus de 10 ans. Les plus jeunes enfants sont nus comme des vers ; leurs peaux, presque ébène, portent les stigmates de jeux adolescents. Au-dessous de chaque habitation, des cochons noirs grognent en dormant, méprisants leurs avenirs restreints. Les femmes lavent le linge au lavoir, les coqs font les coqs. Nous traversons leurs existences sans être invités. Nous attirons tous les regards ; j’ai l’impression d’être fluorescent" 

"Nous mâchons poliment ce qui autrefois avait été un bœuf. [...] Au fond de l’immense pièce plongée dans une obscurité morbide, nous devinons la silhouette d’un homme, rachitique. Epais comme un lévrier au régime, il est nourri à terre, incapable de se tenir sur ses jambes. Ce vieux morceau de bois sec est prostré sous le manteau de la nuit, comme un invertébré qui n’aurait pas trouvé la sortie de la grotte"

"La nuit est noire. Affreusement sonore. La symphonie de la basse-cour commence dès 3h du matin pour ne plus cesser jusqu’aux aurores. Il y a des bagarres, terribles, entre chiens, ces gardiens du village ; puis des hurlements porcins, comprenant soudain la raison de leur présence à proximité des cuisines ; des coqs, toujours angoissés à l’idée de rater le réveil matinal et donc s’y prenant à l’avance ; quelques ivrognes, ronflant dans la poussière… Le repos serait plus tranquille sur un banc de Mexico" 

"Loin des poussières du Laos et de l’héritage culturel du Cambodge, la Thaïlande promeut ses fêtes et ses libertés à double vitesse. Les vieux adultes encore ados et les ados loin d’être adultes viennent trouver ici l’ivresse de la liberté tarifée"

"Bangkok la sulfureuse déborde de temples, et dans ces temples vivent des moines. Beaucoup de moines. Couleur safran" 


"Dans les rues environnantes, les bars à putes s’ouvrent sur le trottoir, habillés d’un billard, d’un comptoir et de mini jupes. La promenade devient une tentation brulante, à condition de ne pas négliger la possibilité d’être séduit par un Lady Boy ; c’est le paramètre hasardeux, le quitte ou double du secteur. […] Refusant leur mauvaise naissance, elles roulent toute la nuit autour des queues de vieux messieurs. Des « femmes qui respirent la vertu, mais qui s’essoufflent vite » disait Feydeau. Il suffit de quelques mètres de distance entre Alice et moi pour que je sois interpellé, puis caressé. On me murmure des mots dont je devine la signification charnelle. Alice repousse les intrigantes et me désenvoute"

"Un McDonald’s ouvert continuellement accueille les paumés en sac à dos dans notre genre. On fait le point autour d’un café puis nous repartons dans les ruelles crasseuses, à la recherche, comme toujours, d’un toit" 

"Sur ce quai, en ce matin d’avril, au cœur de la Thaïlande, entre marcel fluo et épilation laser, l’homme est une femme comme les autres"

"La facture globale frôle les 20€ pour 3 jours d’hébergements, et la restauration est bon marché. Un bout de paradis à la portée de toutes les bourses. Les miennes trempent chaque jour dans l’eau salée, entre coraux tropicaux et poissons amicaux"

" De jeunes parents Nantais, rencontrés sur le bateau, ont mentionnés l’existence d’une plage dont le nom sonne comme un titre de chanson : Crystal Bay. En lieu et place d’une plage sublime, certes, mais ordinaire dans ces contrées, nous dénichons un lieu féerique. Bienvenue ailleurs"  

"L’ambiance est à la fête, la musique fait danser les rues. Toutes les générations participent à ce grand rassemblement populaire. L’histoire dure 3 jours"

"[…] l’immersion en Thaïlande alloue au visiteur une perception ambivalente. Entre traditions et modernité. Entre débauches et bouddhisme. Entre tolérance et crime de lèse-majesté. Une terre de paradoxe, composée de deux pays, le Nord et le Sud, avec, en charge de la traduction, Bangkok, au centre.  Ce territoire mérite, à bien des égards, l’intérêt qu’il suscite" 

"Terres fiévreuses, rougis par 60 ans de guerre civile, la Birmanie aborde l’aube du XXIe siècle sur la pointe des pieds, suspicieuse des changements à venir"

"Autours des lacs, dans les villes et à proximité des temples, partout s’érigent ce qui sera, demain, les futurs centres d’accueils des curieux du monde entier"

"Jamais de notre existence jusqu’à présent, nous n’avions ressenti pareille chaleur. [...] Dans ces conditions, la progression est lente, la visite irritante"

"Nos apparitions, à heures fixes, au milieu des locaux assis sur de minuscules tabourets en plastique, provoquent toujours un silence stupéfait avant d’attirer irrémédiablement la sympathie à notre endroit"  

"Nous trouvions assez sain de mettre 5 fuseaux horaires entre le désir de nous chérir et nos familles respectives. Mais les progrès aéronautiques annulent désormais toute géographie. Bien entendu, c’est avec bonheur que nous retrouvons les parents d’Alice à l’aéroport"

"A l’approche du lit d’eau, nous constatons, pas vraiment surpris, que le niveau du fleuve empêche toute embarcation de naviguer. Une grand-mère, fumant sur sa terrasse, tient le même raisonnement. La situation, sans être critique, reste préoccupante. D’autant que la fragile santé d’Alice renvoi cette dernière dans les cordes"  

"Le sable des chemins, la relative tranquillité touristique du lieu, la grandeur du site, confère à cette journée une aura particulière, inoubliable. Un seul mot me vient alors à l’esprit : Harmonie. Ce bien-être commun à notre groupe est si communicatif que les locaux sont pris tout à coup d’une infinie tendresse à notre endroit. Celle-ci se traduit alors par une séance photo improvisée ou chacun pose, un blanc sous le bras"

"Nous trouvons un buffet birman, de bonne facture, le long d’un sentier poudroyant et peu fréquenté. Nos panses se remplissent à mesure que la table se vide. Nous téléchargeons les victuailles dans notre disque dur interne"  

"L’immersion solennelle se poursuit dans un temple isolé, loin des pistes principales. Construit en bois, il subit, plus que d’autres, les outrages du temps qui passe. Un groupe d’ouvriers spécialisés, inconfortablement assis sur un frêle échafaudage en bambou, pansent les plaies d’une des tours" 

"Cité-Etat à la réussite insolente, Singapour séduit et convainc les opportunistes du monde entier, surfant allègrement sur les concepts libéraux et capitalistes de notre vieux continent"

"La rangée de gratte-ciels ceinture la baie et l’on devine la concurrence acharnée des banques et hôtels pour achever la construction de la plus haute tour. [...] Les rues sont d’une propreté remarquable, bien plus clean que n’importe quelle table à manger du Laos. Le mobilier urbain ne présente aucune tâche ni rayure, on jurerait qu’il vient d’être sorti de son emballage. Les ingénieurs urbains et les architectes rivalisent de prouesses pour sortir de terre des projets jugés imaginaires en d’autres temps" 

"Exploit d’artistes botanistes un peu cinglés, les immenses sculptures arborescentes revisitent poétiquement le Jardin et imaginent les espaces verts du futur. Créatifs et surnaturels, nous assistons médusés à la mise en éclairage de cette partie de l’île"

"Mon portefeuille et moi sommes mis d’accord pour offrir à Alice une soirée féerique pour son anniversaire. Je lui offre donc Singapour. Le cocktail est sucré mais la note salée"

"Ici, tout est trop propre, trop neuf, trop vide, et la population erre comme aspirée par la verticalité financière des lieux"
 

"La frustration de nos habitudes est, d’ordinaire, la preuve que l’on en train de voyager. Or, depuis Bangkok, rien, dans la consommation et les habitudes de vie, ne nous distinguent vraiment de l’Occident. Le constat est similaire en posant la patte à Kuta […] Bali a perdu ici sa virginité, violée par le libéralisme, économique et sociétal"

"La circulation étant ce qu’elle est dans une agglomération, l’équipe se scinde très rapidement en deux et nous atteignons séparément la même destination. Dans l’intervalle, Alice laisse un peu de viande sur le bitume. Rien d’inquiétant mais quelques heures de perdues"

"L’itinéraire se décide jour après jour, dans un souci de liberté et d’imprévu, au gré des envies de chacun. La route forestière que nous empruntons à présent serpente à travers une végétation luxuriante, un paradis vert aux proportions gigantesques. Le plaisir de rouler, à ce moment-là, est immense […] nous entretenons un rapport sensuel à la nature qui agence son décor autour de nous"   

"Au sommet, la perspective est saisissante. D’un côté, le lac homonyme et ses pourtours, immense cendrier noir couvrant la végétation d’antan ; de l’autre, le cratère, fumant doucement, pas tout à fait endormi, à peine somnolant. Quelques cris tonitruant de notre guide suffisent à faire sursauter ce géant qui répond alors en longs échos rebondissants. D’autres montagnes se dessinent au loin, boursoufflées par l’arborescence de ses flancs"

"Malgré un tourisme de masse grandissant et la promesse de revenus exponentiels, la majorité des balinais perpétuent les traditions de leurs aïeux, cultivant rizières et champs à pas de bœufs, refusant de céder à la cupidité des promoteurs, poursuivant le mode de vie séculaire, faite d’offrandes aux dieux de la montagne et aux démons de l’océan. Ils sont les gardiens de la conservation des rites ancestraux, de la préservation du particularisme balinais, longtemps promis aux opprobres du tourisme"

"Des balcons attenants, nous dominons la jungle. Un grand parasol abrite nos émotions partagées. Ainsi protégés, nous observons le ballet de l’orage. Un détour au restaurant du coin apaise nos faims et nous terminons la soirée autour d’un jeu de société et d’un peu d’alcool, quand même. D’autant plus qu’il fut difficile à trouver ; la religion et les énormes taxes empêchant toute gueule de bois"

"La décision est prise de filer vers Jimbaran, célèbre pour ses étendues de sable constellées de barbecues. Le long d’une plage paradisiaque justement, l’industrie du tourisme de luxe a déployé son jeu et nous n’avons aucune carte à jouer"  

"D’emblée, Sumatra réveille en nous les plus désagréables souvenirs liés au manque d’organisation asiatique"

"La petite Louisa, 10 mois, nous dévore de ses grands yeux ronds ; des billes pleines de curiosité et de tendresse qui embuent le cœur sensible de ma compagne"

"Le bus qui avale nos corps douloureux est un bus public. Dégueulasse et bondé. Une odeur de dégueulis englobe le bétail entassé sur des fauteuils en lambeaux. Nos corpulences, pourtant parfaitement normées en Europe, dépassent de loin la moyenne nationale. Aussi, nous devons payer trois sièges pour s’asseoir […] Les arrêts incompréhensibles du chauffeur finissent de nous faire regretter sa venue au monde. Soudain, de manière incroyablement prévisible, une épaisse fumée noire s’échappe du moteur. Panne. Arrêt. Bord de route. Une heure ou trois passent, nous ne savons plus. Nous sommes les fantômes ruisselants de corps qui autrefois avaient été nous" 

"Nous descendons, récupérons nos sacs, saluons la compagnie, et partons, décidés à faire du stop. Celui-ci ne dure qu’une vingtaine de secondes, le temps pour un gros indonésien au sourire franc de serrer le frein à main. C’est un batak, une communauté très présente autour du lac Toba ou nous allons. Ses ancêtres étaient équarrisseurs ou croque mort. Pour sûr, anthropophages"

"La chambre est miteuse, des excréments d’animaux inconnus voisinent avec des carcasses d’insectes décédés et recouvrent une partie du lit. Pour se laver, un baquet d’eau froide stagnante sur laquelle flotte un sceau percé. Au sol, les restes d’une mosaïque autrefois flamboyante. Les ruines craquellent désormais sous nos pieds dans un ultime crépitement de céramique. Sur les murs, des lézardes bleues, farcies de moisissures, cartographient le système veineux du bâtiment. L’humidité suinte dans ces varices froides et diffuse une horrible puanteur"

"Une réponse concrète à tous ceux qui jugent que l’économie touristique apporte forcément des revenus aux travailleurs locaux. Ces mêmes locaux, désormais allaités à la mamelle touristique et au bon vouloir des mêmes, se retrouve brusquement démunis quand, un matin, la rente change de crémerie. Et rien n’est plus volatile qu’un touriste"  

"Dans la salle d’attente, patientent avec nous des tas d’hommes, enfin, surtout des tas, de retour de vacances. La grande majorité est, en effet, obèse morbide. Un brin de conversation avec un homme nous fait découvrir l’accent australien. Ils mâchent, broient, avalent et rotent leurs syllabes dans un anglais particulier "

"Les distances à parcourir sont colossales. Depuis notre départ, nous n’avons pas quitté la Stuart Highway. Le GPS nous indique le prochain virage, à 944km de là. Pas question de le manquer"

"Je sers le frein à main au pied d’une antenne géante, seule source d’émission des 500 Kms alentour. C’est également la distance qui nous éloigne de toute vie humaine. La sensation de n’être rien dans pas grand-chose. Le diner est silencieux, je tète jusqu’à la dernière goutte ma bouteille de whisky, je n’ai plus vraiment soif mais je sais qu’il existe une place en Enfer pour ceux qui gâche un bon scotch" 

"Chapeaux, Blue jeans, éperons et ceinturons, les éleveurs des environs s’affrontent dans une compétition à cheval où l’objectif est de mener une vache et son veau à un point précis. L’expérience est spectaculaire ; les cowgirls, sexy à souhait. Alice, jalouse, dépense une poignée de dollars dans un chapeau des plus typiques, et concurrence maintenant la plus sexy des cavalières"

"Le paysage change à nouveau. Des milliers de termitières, semblables à des stèles mortuaires, hérissent l’horizon, esquissant le futur cimetière des routiers endormis"

"Nous séjournons quatre jours à Prestbury Farm. Ici, les wallabies et autres kangourous se déplacent sans crainte ; nous en croisons des dizaines, tout proche. Les journées s’écoulent sereinement, au guidon d’un quad ou dans la benne d’un pick-up, à nourrir les vaches et à abreuver les veaux" 

"Nous sentons la fin du périple approcher, et c’est une sensation aussi angoissante qu’attendue. Nos sorties à la plage rythment nos dernières journées, au chaud sur les grains de sable après de bien trop fraîches nuits sur les parkings. Nous emmagasinons la chaleur de midi pour affronter le froid de minuit"

"Quatre petits degrés à l’intérieur des terres et nous voilà contraint au port de jeans, pulls, chaussettes et vêtements thermiques. Nos deux sacs de couchage reliés en eux, nous cherchons, comme des loups, la chaleur de l’autre. Au matin, nous surprenons l’hiver en flagrant délit d’intrusion : le pare-brise est couvert de givre"

"Remise de ses émotions, nous continuons notre chemin vers Red Rock. Là, nous nous arrêtons au bord de la beauté, à flanc de falaise. Un village de 310 âmes, niché dans un paysage de tableau, aux formations rocheuses ocre et terre. Le Sud Pacifique s’écrase ici et façonne la pierre à grand coups d’écume" 


"Au soir, pour le dernier dimanche à l’intérieur de notre roulotte améliorée, nous stationnons, toujours comme des vieux tapins, sur le parking éclairé d’une station essence"

"Pour la dernière soirée, nous fêtons simultanément notre fin de parcours et l’anniversaire de notre rencontre. Poétiques instants, mystifiés par l’oscillation chaloupée de deux chandelles. Au petit matin, un avion emporte nos corps et notre rêve, désormais souvenir"   

"Le monde est à nos yeux aussi beau et aussi sinistre qu’auparavant, aussi bon et malfaisant qu’imaginé. Nous avons compris, et c’est sans doute la principale chose qui restera, que si ce voyage nous a tant comblé, c’est parce que l’on a, quelque part dans le monde, nos racines, notre refuge, une raison de revenir […]  Cette virée dans le monde, presque à l’improviste, sans autre but que celui de voir du pays, a défriché notre lecture du monde. […] Finalement, la fin de ce voyage, n’est rien de moins qu’un commencement…"